Donner une voix à celles qui n’en n’ont plus


« Le bal des folles » Victoria Mas, 2019

Résumé

Vous êtes cordialement conviés au bal costumé de la mi-carême, qui aura lieu le 18 mars 1885 à l’hôpital de la Salpêtrière.

Les membres de la haute société parisienne se réjouissent à l’idée de se rendre à ce bal d’un genre un peu particulier : le bal des folles. Une fois par an, à la mi-carême l’élite se mêle à ces femmes enfermées à l’hôpital, on va alors au bal comme on va au zoo.  Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres agréments. Cette scène joyeuse cache une autre réalité : ce bal costumé et dansant est une expérimentation initiée par le docteur Charcot qui a pour but de distraire les femmes internées et de les exposer à la mondanité de Paris.

En effet, au 19ème siècle à l’hôpital de la Salpétrière, on internait toutes ces femmes jugées hystériques, épileptiques, maniaques en un mot folles. On internait des femmes bien souvent victimes d’abus physiques ou psychologiques, mais aussi des femmes qui dérangeaient par leur anti-conformisme, leur volonté d’être considérée comme des êtres à part entière avec des droits et des libertés.

Les femmes qui entrent dans cette institution perdent dès leur admission leur identité et leur histoire pour ne devenir que des pauvres folles dans ce 19ème siècle où les hommes peuvent simplement décider que leur femme ou leur fille sont bonnes à enfermer. A l’intérieur, certaines veulent à tout pris sortir pour retrouver leur liberté, leur libre arbitre. Pour d’autres au contraire, l’hôpital est devenu un abri, un lieu sécurisant, loin de ces hommes pervers et destructeurs.

Face à ces femmes, le corps médical est représenté par le docteur Charcot, éminent neurologue. Les internées sont alors perçues comme des rats de laboratoire sur lesquels on teste des traitements, des pratiques qui n’ont rien de rationnelles ou de raisonnable, on les exhibe dans les facultés de médecine pour faire « progresser » la science.

Hôpital de la Salpétrière, Paris
Hôpital de la Salpétrière, Paris

Critique

Le premier roman de cette autrice a été très remarqué lors de cette rentrée littéraire 2019, et à juste titre je trouve.

Dans ce récit, on sent et on remarque le travail et la recherche historique effectués par l’autrice. Elle présente aux lecteurs un témoignage d’une autre époque où l’on ne sait pas si la folie est à chercher du côté des patientes ou du corps médical !
Ce récit pointe du doigt la suprématie du corps médical, peu enclin parfois à prendre du recul envers des pratiques éprouvantes et douteuses. L’autrice ne porte pas de jugement, elle relate, expose et présente à travers l’histoire de ses héroïnes. 

Contrairement au titre du roman qui laisse croire que toute l’intrigue va se dérouler lors de ce fameux bal, le récit nous présente surtout la vie quotidienne des internées. Le lecteur est immergé dans les coulisses de l’hôpital, dans un milieu masculiniste et parfois imbu de lui-même. La soirée de bal n’occupe finalement que peu de place dans le roman et je trouve que c’est un point négatif de ce récit. L’autrice aurait pu la relater de manière plus détaillée, y consacrer plus de pages. Elle aurait nous présenter cette rencontre entre deux mondes la haute-société et les internées, en questionnant par exemple le rôle et la place que les soignants ont dans « ce spectacle ». J’aurai aimé savoir ce que ressentent et vivent ces femmes : se sentent-elles comme des bêtes de foires ? Fantasment-elles sur cet univers si opposé de leur quotidien ? On peut aisément comprendre que le propose de l’autrice est à un autre niveau. Elle ne critique pas l’événement en soit, mais tout le contexte dans lequel il s’inscrit.

Un roman qui n’est donc pas seulement historique mais aussi féministe. A travers le parcours singulier de ces internées, Victoria Mas nous montre et nous rappelle (si besoin) qu’il aura fallu du temps, et des femmes sacrifiées pour faire entendre la voix des ces êtres humains considérés et traités comme sexe faible. Des êtres contraints au silence pour ne pas remettre en question une vision patriarcale de la société.

J’ai lu et entendu plusieurs critiques négatives sur Le bal des folles indiquant que c’est une piètre réplique du roman Captive de Margaret Atwood. Personnellement, je trouve la comparaison pas pertinente. Les deux histoires se passent certes à la même époque et elles présentent toutes les deux une critique de la médecine de ce temps-là, mais la visée des autrices n’est pas la même. Je crois que des auteurs peuvent traiter des thématiques similaires sans avoir le même but, ni le même angle d’attaque et encore moins la même plume.

La fluidité de l’écriture et la manière dont est abordé cette thématique m’ont embarqué. Un livre dévoré, lu presque d’une traite. J’ai par contre regretté un manque de profondeur dans la manière dont sont présentés les personnages, en particulier Eugénie et Geneviève. En effet, les histoires d’Eugénie et de Geneviève sont très romancées et très improbables, ce qui m’a quelque peu fait décrocher de cette lecture (je ne vous en dis pas plus, à vous découvrir qui sont ces deux femmes !) .

Ce livre reste une très bonne lecture et je suivrai avec intérêt les prochains romans de cette jeune autrice.


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