Une histoire de cape et d’épée peut-elle devenir Fantasy ?

Couverture de l'intégrale de la trilogie "Les lames du Cardinal" de Pierre Pevel

« Les Lames du Cardinal » trilogie de Pierre Pevel, 2007-2010

Résumé

Les lames du Cardinal, un tout petit détachement des meilleurs bretteurs du pays (et d’ailleurs) sont dépêchées afin de récupérer un mystérieux individu à la demande du Roi d’Espagne…  La France n’est pas en bonne position diplomatique et rendre service au Roi avec grand succès serait un atout majeur dans les négociations politiques.
Mais… le Roi d’Espagne n’est-il pas sous l’influence de la griffe noire ? La plus grande loge d’Europe, composée essentiellement de dragons ? La menace est grande, surtout que la loge est à l’origine de la dissolution des lames du Cardinal quelques années plus tôt, par la trahison d’un de ces membres.
Ce petit groupe composé d’hommes et de femmes, duellistes et aventuriers, arrivera-t-il à déjouer les intrigues complotistes qui se jouent en secret dans cette vieille Europe de 1633 ?

Critique

L’histoire

La situation de départ est originale. L’intrigue commence par le rassemblement des lames sans que l’on sache réellement pourquoi. Par la façon de raconter de l’auteur, cela rend exceptionnel ce rassemblement et annonce le danger. Pendant un long moment on suit petit à petit le rassemblement de la troupe officieuse. Un moyen peu original d’introduire les personnages, mais ils sont tellement nombreux que ceux-ci rendent la lecture passionnante. On en apprend plus sur le décorum et la situation générale de l’histoire. Les intrigues politiques sont posées et pourtant pas figées. A chaque rencontre de protagonistes des éléments se rajoutent et créer un tableau évolutif plutôt réussi.  Très vite on devine une complication sans pour autant être sûr de sa finalité. D’ailleurs, et en cela il faut féliciter l’auteur, le scénario avance sans que cela repose sur les personnages principaux. De multiples scenarii se suivent et confrontent les intérêts de chacun des héros. Leurs intérêts divergent du but initial qu’on pourrait (devrait?) s’attendre à savoir la quête du Cardinal. C’est par ces détours que finalement l’observateur de l’histoire n’arrive plus à anticiper le dénouement. Il y a tellement de possibilités qu’il est réellement passionnant de se demander comment réagira tel ou tel personnage.

Il n’en faut pas beaucoup pour décrire une situation et passer à autre chose. L’auteur joue avec l’imagination du lecteur sans forme de procès. Chaque détail peut devenir un indice, ou un début de complication :

Ayant refermé la porte, il retourna à sa table d’écriture et glissa la retranscription de la lettre dans une enveloppe de cuir fin. Il écarta ensuite la chaise, souleva le tapis, délogea une latte du plancher et cacha le document secret avant de tout remettre en état.
Ou presque.
Comme il s’en aperçut aussitôt, un coin du tapis était resté enroulé : une anomalie évidente qui rompait avec la parfaite ordonnance de la pièce.

Le lecteur se fera-t-il avoir ou ne sera-t-il pas dupe de cette manipulation ? Qu’attend-on finalement d’un auteur, qu’il nous donne la satisfaction de deviner la suite, ou la frustration de ne pas l’avoir vue venir ? L’histoire avancera souvent de cette façon où les événements arriveront comme un cheveu sur la soupe… au moment où l’on espérait un peu de tranquillité, et laisser l’auteur nous en apprendre plus sur les personnages.
La cohérence temporelle est aussi très bien décrite. Le roman rappelle souvent à quelle période l’histoire se joue, et ce qui se passe à quelques centaines de lieues de là.
100301_IMG_leslamesducardinal_Pierre_Pevel_cardinalLes uchronies ne choquent pas. Il n’est pas forcément question d’arrangements scénaristiques facilitateurs. On sent une envie de rajouter une forme de drame à un Paris trop souvent idéalisé et une politique romancée. Le fait historique déplacé à une autre date sert le propos d’un personnage fragilisé et isolé, bien que puissant. L’uchronie sert donc le propos, et c’est fort !

Les personnages

Chacun son style, chacun ses réactions. Souvent les attributs que l’on accorderait à une baronne sont complètement inversés. Le monstre devient le noble, le sauvage le civilisé et la jeunesse intempestive devient l’habile manipulation.
Les dialogues sont somptueux et le caractère de chacun ressorte en quelques lignes :

– Allons, dit Marciac avec entrain tout en approchant une chaise. Je dois regarder ta blessure et peut-être en changer le pansement.
– Maintenant ?
– Mais oui, serais-tu attendu quelque part ?
– C’est très drôle, ça…
– Râle tant que tu veux, triste sire. J’ai prêté un serment qui m’oblige à te soigner.
– Toi ? Un serment ?… De toute manière, ma jambe va fort bien.
– Vrai ?
– Je veux dire qu’elle va mieux.
– Tu n’écluses donc pas bouteille sur bouteille pour calmer la douleur…
– N’as-tu pas mieux à faire que compter les bouteilles ?
– Si. Soigner ta jambe.

Vous retrouvez une Anne d’Autriche haute en couleur et un Louis XIII critiqué par sa simple représentation dans l’histoire : flegmatique, presque inexistant, balayé en quelques mots descriptifs. Les héros sont cohérents dans leurs réactions et leurs caractères. Leurs multiples facettes sont soigneusement travaillées et l’action décrite, même après réflexion, sont totalement logiques tellement il y a de d’intérêts multiples en jeux. Les critiques d’un lecteur exprimant telle ou telle possibilité alternative en deviendraient presque de la mauvaise foi. Et c’est jouissif !

Le style

Perre Pevel est un auteur de fiction, français, passionné d’Histoire, possédant un langage très riche. Son style d’écriture est, je pense, hors du commun. Sa complexité de langage tant pour définir les caractères de ses personnages que pour décrire une situation permet des originalités amusantes ou sert simplement à susciter l’intérêt du lecteur.

C’était une vieille demeure d’architecture austère, massive, tout en pierre grise, qu’un huguenot rigoriste avait fait bâtir selon ses vœux au lendemain de la Saint-Barthélemy. Elle évoquait ces anciennes bâtisses seigneuriales qui survivent dans certaines campagnes, et dont les murs sont des remparts et les fenêtres des meurtrières.

Représentation romanesque du Paris dangereux avec la cours des Miracles
La cour des Miracles par Gustave Doré

On sent tout au long de la lecture les références historiques à Paris vers les années 1630. Autant l’histoire est romanesque et les joutes verbales somptueuses, autant le décor parisien est sale et sans enjolivures. Les nobles marchent dans la merde, les détritus et la boue séchée ou gelée, autant le rappeler en de multiples occasions afin de bien faire l’opposition entre l’attitude des héroïnes et héros, et l’environnement peu saillant voire insalubre. Paris était une ville sale, submergée, puante et qui tuait les « bons gens ». L’auteur rend justice à l’Histoire en la décrivant sale, submergée, puante et qui tuait les « bons gens ».

Mon avis

Couverture de l'intégrale de la trilogie "Les lames du Cardinal" de Pierre PevelJ’ai lu le livre avec une attention très particulière. J’ai adoré les effets de style, les clins d’œil et les faits historiques adaptés. La fantaisie s’adapte tellement bien à l’image d’un très vieux Paris que je n’arrive pas à l’imaginer sans. Il n’y a ni trop, ni pas assez de magie. On sent une aura derrière chaque personnage et on en attend plus que ce que l’on lit réellement. Les duels ne sont jamais exagérés et les explosions de magie sont rudes, mais sans exagération. Le piège du deus ex machina est évité. Personnellement je m’attendais à en trouver plusieurs, et ce n’est pas vraiment le cas.  Je dirais même que c’est l’inverse. L’immobilisme des entités magiques est expliqué par l’horreur que cela engendrerait si tel était le cas. J’aime bien cette prise de position.
On a donc des personnages qui sont exceptionnels mais pas infaillibles. Magie, force, intelligence ne suffisent pas. L’histoire montre la fragilité des héros et leurs décisions courageuses quoique fatales. C’est pour cette raison que j’ai aimé cette trilogie. C’est une histoire où personne ne s’attend à voir des héros tuer les gros méchants dragons à coups d’épée magique. Je dis oui. Oui à la saleté, oui à ces personnages torturés qui doivent se dépêtrer de situations boueuses en gardant les traces sur les mollets, et parfois bien plus.


3 réponses à “Une histoire de cape et d’épée peut-elle devenir Fantasy ?”

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